En 2017, c’est à Marrakech, en présence de Pierre Bergé, que les insignes de Commandeur des Arts & Lettres étaient remis à titre posthume à la photographe Leila Alaoui, décédée deux ans plus tôt des suites de l’attentat terroriste de Ouagadougou. Il était donc très logique pour le Musée Saint-Laurent de Marrakech d’accueillir aujourd’hui la présentation du magnifique cycle de Leila Alaoui « Les Marocains ».
Transportant un studio mobile à travers tout son pays, la jeune artiste a réalisé de majestueux portraits de Marocaines et de Marocains de tous âges et de toutes conditions, vêtus pour certains de simples habits de ville, mais portant le plus souvent des costumes caractéristiques de régions ou de communautés spécifiques. À ces images à la fois impressionnantes et touchantes, il fallait une mise en espace digne d’elles. Les portraits ont été choisis et présentés par Guillaume de Sardes, qui a laissé s’exprimer sa sensibilité de photographe particulièrement attaché à la lumière et aux visages du Maroc. La scénographie est due à Christophe Martin, qui lui non plus n’en est pas à son coup d’essai en ce domaine, puisqu’il collabore de longue date avec la Fondation Saint-Laurent Bergé et qu’il est entre autres le concepteur du Musée berbère des Jardins Majorelle. Significativement, les organisateurs ont tenu à ce que l’exposition soit accessible gratuitement, pour l’ouvrir largement à celles et ceux qui en sont à la fois les modèles et les visiteurs.
Sont ainsi montrés une trentaine de grands portraits posés – la chose est importante : Leila Alaoui, ici, ne circule pas l’appareil au cou, guettant l’inspiration ; elle met en scène soigneusement, hors des cadres du quotidien, les modèles qu’elle a choisis. Le fond systématiquement noir fait ressortir les traits, juvéniles ou labourés par le temps, et les couleurs des vêtements. Il participe de la puissante picturalité des images. Les visiteurs seront sans doute retenus par l’étonnante intensité des regards, sérieux ou émus, conscients de l’importance du geste artistique à l’oeuvre. Ils ne manqueront pas d’admirer en outre la beauté des parures, qui fait apparaître comme une évidence l’installation de l’exposition « chez » Yves Saint-Laurent. On sent, à regarder longuement chaque portrait, combien il n’y a pas de séparation entre la haute couture et les pratiques vernaculaires, mais tout simplement une universalité du beau. Leila Alaoui, qui n’aimait pas l’orientalisme, a ainsi gagné son pari : en illustrant la noble élégance, la tenue des femmes et des hommes de son pays, elle a témoigné en faveur d’une force pacifique qui transcende toutes les frontières.
Leila Alaoui, « Les Marocains », Musée Yves Saint-Laurent, Marrakech, jusqu’au 5 février 2019.