Antoine Bourdelle le sculpteur, mais aussi Antoine Bourdelle le maître, l’enseignant. Tel est l’angle de l’exposition Transmission/Transgression au musée Bourdelle jusqu’au 3 février 2019 qui présente l’artiste face à ses élèves parfois illustres dont certains ont suivi ses préceptes et d’autres ont préféré s’en affranchir…
On connaissait Antoine Bourdelle le sculpteur, mais le grand public ignorait peut-être qu’il était aussi une figure majeure de l’enseignement artistique du Paris du début du XXe siècle. Un véritable mentor qui a lancé bien des carrières (dont certaines fort célèbres et qui ont dépassé le maître en notoriété) et que l’on redécouvre dans cette exposition, où l’on voit Bourdelle passer d’élève à artiste, puis d’artiste à professeur (tout en n’abandonnant jamais sa pratique artistique). Il disait d’ailleurs à ses apprentis sculpteur : « Je ne suis pas un maître d’école, un professeur, mais un artiste qui travaille avec vous. Je suis comme Socrate, je vous accouche de votre âme ».
Un élève avant tout. L’exposition commence donc avec un jeune Antoine Bourdelle qui rêve de devenir sculpteur. Mais à la fin du XIXe siècle, il faut pour cela passer par un atelier, tenu par un maître en la matière, enseignant à l’Ecole des Beaux-Arts et permettant un accès facilité aux sacrosaints Salons pour exposer ses œuvres. Pour Bourdelle, ce sera tout d’abord l’atelier d’Alexandre Falguière, avant de rencontrer Jules Dalou, puis Auguste Rodin. Trois artistes et trois maîtres successifs différents. « Sa période d’apprentissage a été longue, car il cherchait sa personnalité artistique », précise Amélie Simier, directrice du musée. Mais peu à peu, il cherche à s’émanciper de leur enseignement, comme le fera plus tard Giacometti du sien. « Ce n’est pas l’art de demain », dira-t-il d’eux en 1905, allant jusqu’à les effacer de ses mémoires en 1924, première transgression de l’exposition. Pourtant, c’est sous l’influence de Rodin qu’il va véritablement se perfectionner, avec l’Eve que le maître lui confie pour sa Porte de l’Enfer et dont l’exécution plaira à Rodin. Bourdelle fera également un buste de ce dernier, Rodin méditant penché sur l’œuvre, bien après son enseignement. Emancipé, Bourdelle reçoit ses premières commandes publiques comme Le Monument des Combattants de Montauban et s’entoure de nombreux assistants et collaborateurs. C’est alors qu’il décide d’ouvrir son atelier à l’enseignement.
L’enseignement de la « science de la sculpture ». La scénographie invite d’ailleurs le visiteur à se faire lui-même élève de Bourdelle, avec une salle présentant outils et matériaux dont les élèves avaient besoin pour créer, ainsi qu’une vidéo montrant les gestes de l’époque pour sculpter. Bourdelle accueille des apprentis dès 1890, dans ses ateliers de l’impasse du Maine. On estime en tout qu’il a eu plus de 500 élèves, issus de 42 nationalités différentes, du Japon à la Grèce, en passant par l’Amérique du Sud. « Un des défis de l’exposition était d’identifier les élèves d’après les photos de l’époque. Nous espérons en retrouver d’autres, grâce aux visiteurs de l’exposition qui y reconnaîtront, qui sait, un de leurs ancêtres ! », ajoute Amélie Simier. Avoir des élèves permettait ainsi à Bourdelle de mener à bien plusieurs projets simultanément qui lui prenaient du temps, tout en reproduisant plusieurs sculptures à partir du même modèle. « C’était un professeur attentif et très présent, qui suivait ce que certains de ses élèves devenaient. Il souhaitait que chacun s’épanouisse dans son propre champ d’expression », précise la directrice du musée. Son école prend de l’essor et Bourdelle entre également en 1904, à l’Académie de la Grande Chaumière, située à Montparnasse, pour y dispenser des cours et leçons de sculpture. Il le fera pendant près de 20 ans.
L’école des femmes. Ce qui surprend dans ces différents ateliers, c’est le nombre de femmes qui ont suivi des cours du sculpteur. Car plus de la moitié de ses élèves étaient des femmes, souvent issues d’un milieu aisé et qui s’échappaient ainsi d’un destin tout tracé pour elles. Elles lui servaient de modèles pour des bustes, mais il avouait apprendre aussi beaucoup d’elles. Parmi ces artistes, certaines ont marqué de leur empreinte et bénéficient de deux salles qui leur sont consacrées. On retrouve ainsi Fanny Moscovici, issue de Roumanie et qui a donné lieu au buste en bronze La Roumaine de Bourdelle, daté de 1927. Ou la Chilienne Henriette Petit qui épousera le peintre Luis Vargas. Mais surtout la Grecque Cléopâtre Sevastos, qui a quitté Athènes pour rejoindre Bourdelle qui était alors un ami de son beau-frère. Elle le rencontre en 1904 et va devenir sa muse, puis son épouse, veillant à la carrière de son mari et à sa postérité une fois le maître disparu.
Les deux élèves illustres. Ainsi, au milieu de pièces inédites de Bourdelle, comme ce buste de Beethoven aux deux mains, on découvre les œuvres produites par ses élèves les plus talentueux, que ce soient Athanase Apartis, Otto Gutfreund, Kuheiji Kaneko, ou encore Etienne Hadju… Mais il en est deux qui vont surpasser le maître et illustrer à propos le thème de transmission et de transgression. « Tout ce que je sais, c’est Bourdelle qui me l’a appris… » Voici ce que dira Germaine Richier, qui travaille chez Bourdelle entre 1927 et 1929. Elle sera son élève fétiche et elle transmettra son enseignement à ses propres élèves. L’exposition y présente quelques-unes de ses œuvres emblématiques, comme Le Griffu ou L’Héraklès archer. En revanche, le son de cloche sera différent du côté d’Alberto Giacometti, qui lui dira que « L’enseignement de Bourdelle ne m’a pas apporté beaucoup » Il restera pourtant à ses côtés pendant trois ans, entre 1922 et 1925, ainsi qu’en irrégulier entre 1926 et 1927. Il gardera toutefois un respect pour Bourdelle, même si son œuvre se rapproche davantage de la transgression, comme ici avec sa Femme de Venise V aux formes longilignes et heurtées. Mais la mission de Bourdelle n’en est que plus réussie : il est parvenu à faire naître des artistes dont la renommée sera à jamais liée à la sienne.