Les espaces innovants de l’art contemporain

Les espaces innovants de l’art contemporain
Science friction / Collecteur sensoriel de Stéphanie Baechler visible à l’artist run space Rinomina du 11 au 31 octobre 2018 ©Stéphanie Baechler  
Marché

Les étudiants des Beaux-Arts de Paris connaissent ces lieux par cœur ; ils les visitent avec autant d’assiduité que les grandes galeries, les musées nationaux ou les fondations privées. En quelques années, les artists run spaces sont devenus des lieux indispensables de la création contemporaine.

Inventées dans les années 1960 par des artistes regroupés en collectifs, ces structures à but non lucratif entendaient proposer un art alternatif à celui jugé conservateur des institutions culturelles dominantes. La dimension militante des artists run spaces a aujourd’hui largement disparu ; il s’agit moins de s’opposer aux propositions du secteur artistique professionnel que de les compléter. Il n’est pas rare que les membres de ces associations travaillent pour des galeries ou des musées pour se financer et il n’est pas rare non plus que les membres des structures traditionnelles visitent les artists run spaces pour dénicher de nouveaux talents. De plus, les acteurs qui font vivre ces lieux partagent les mêmes réseaux que les structures privées et publiques et candidatent aux mêmes subventions. L’artist run space Treize (24 rue Moret, 75011 Paris) a ainsi obtenu le soutien de la mairie de Paris et de la DRAC Ile-de-France. Plus que des espaces dédiés à la promotion de la contre-culture, les artists run spaces sont devenus des lieux de socialisation mais aussi de cooptation. Il s’agit pour les jeunes artistes montrés dans ces lieux d’acquérir une légitimité par l’approbation d’un réseau d’acteurs qui en sont au même stade de leur carrière. Ces phénomènes de validation, auparavant réservés aux musées et autres institutions constituent un véritable tremplin pour ces créateurs qui, à la suite de cette première visibilité, peuvent espérer, si ils sont repérés, être présentés dans un centre d’art puis éventuellement intégrer une galerie et rejoindre une collection. Les artists run spaces placent littéralement les nouveaux artistes au seuil du marché de l’art. Cette position est merveilleusement illustrée par le choix de la Cité internationale des arts qui inaugure cette année un Run Space Project dans le cadre de la Bienvenue Art Fair: l’exposition dédiée aux artists run spaces se tient dans la petite galerie de la Cité internationale des arts, située juste à l’entrée de la foire.

Si l’essence militante de ces lieux s’est perdue, il n’en reste pas moins qu’ils enrichissent l’offre artistique en proposant des formes originales de production et de diffusion de l’art contemporain. Economiquement précaires, ces structures s’installent là où elles le peuvent. Vitrines, ateliers, appartements, ces nouveaux lieux nécessitent des ajustements quant à la présentation des œuvres et l’accueil du public et reconfigurent notre relation aux œuvres. Ainsi l’artist run space Palette Terre de l’artiste Bastien Cosson (9 rue Rochebrune, 75011 Paris) se situe dans une des pièces de son appartement. Les visites, en dehors des vernissages, ne se font que sur rendez-vous. En résulte une expérience de l’art qui favorise la rencontre avec l’œuvre et sort définitivement le spectateur du traditionnel white cube. Précaires mais indépendantes, ces structures sont aussi plus libres de proposer une ligne artistique innovante et, si elles s’inscrivent résolument dans le champ de l’art contemporain, les expositions qu’elles organisent relèvent des goûts de ceux qui les gèrent. Ainsi la programmation de l’artist run space Tonus (4 rue de la Procession, 75015 Paris) reflète l’attachement à l’art figuratif du couple d’artistes qui l’a fondé en 2014. Non financés mais tenant à rester accessibles à tous, ces lieux survivent grâce à l’entraide des acteurs qui les font vivre, et ce partenariat modifie également l’accueil réservé au public. S’inscrivant dans la mouvance du coworking, les artists run spaces sont devenus des espaces de mise en commun d’outils, de connaissances mais aussi de réseaux. En plus des artistes, ce sont maintenant de jeunes commissaires d’exposition, critiques d’art, éditeurs et médiateurs qui font leurs armes dans ces lieux. Entre économie du partage et travail collaboratif, ils gèrent ensemble l’administration, la programmation, l’installation, la promotion et la médiation. Une multiplication des savoir-faire qui se traduit dans les formes proposées. Entre projections de court-métrage suivies de débats, concerts-expositions, conférences entrecoupées de performances, workshops ou encore table d’hôte, les artists run spaces inventent de nouvelles expériences de l’art plus conviviales et participatives que celles proposées par les institutions. Ils charrient un public plus jeune mais aussi plus éclectique.

S’ils ne s’inscrivent plus dans la mouvance contestataire des années 1960, les artists run spaces d’aujourd’hui restent très innovants. Ils sont des lieux incontournables pour repérer les artistes de demain.