La modernité a entièrement rebattu les cartes du dialogue des arts en donnant une large place à l’image reproductible, photographie ou cinéma. Elle n’a pas pour autant (telle est la conviction de Dominique Païni) rendu hermétiques les mondes de la création « ancienne » et « nouvelle », et il convient de susciter des lieux où la confrontation soit possible – et possible pour le plus grand nombre.
C’est ainsi que l’ancien directeur de salle (le mythique Studio 43) est devenu responsable d’institutions ou de manifestations visant à réconcilier l’image filmique et les cimaises. Un passage au Musée du Louvre, comme directeur de l’audiovisuel, l’avait déjà amené à penser les rapports entre art et cinéma. Mais c’est à partir de 1991, lorsqu’il devient pour une décennie directeur de la prestigieuse Cinémathèque française, que Dominique Païni s’impose comme l’un des plus subtils experts internationaux dans l’art délicat d’exposer le cinéma. Comme il ne manque pas une occasion de le rappeler, il rend ainsi son actualité à l’intuition d’Henri Langlois, qui avait tenu à nommer sa création « Musée du cinéma ».
À Beaubourg, où il est quelques temps directeur du développement, il peut donner plein essor à un désir d’images mûrement réfléchi. Hitchcock et les arts, en 2001, est une étape importante d’un parcours destiné à trouver un accomplissement à la fois inoubliable et orageux avec le(s) Voyage(s) en utopie de 2005, la fameuse exposition confiée à Jean-Luc Godard et dont la préparation fut ce qu’elle devait être de la part du plus misanthrope des grands cinéastes ! Pas rancunier, Dominique Païni n’a pas hésité à revenir à l’œuvre de celui qui lui avait fait vivre de rudes moments, en proposant cet été, dans le cadre merveilleux de l’abbaye de Montmajour, un face-à-face entre deux monstres sacrés, Godard et Picasso, autour d’une pratique qui a le mérite d’être picturale et cinématographique à la fois : le collage.
Cette liaison entre les arts est au cœur du projet intellectuel de Dominique Païni. Il en a fait la démonstration dans une exposition sur cinéma et peinture, montrée à Barcelone en 2016, et il en a médité les modalités dans plusieurs textes, à commencer par le beau Temps exposé : le cinéma de la salle au musée (éditions des Cahiers du cinéma, 2002). Par le recours à des notions comme « le sculpté », qui peuvent s’appliquer tant aux beaux-arts qu’au film, il insiste sur la nécessité de faire du cinéma « un art parmi les arts », qui trouve comme tel toute sa place au musée. Comme il le signalait dans un entretien à Prussian blue en 2016, une différence majeure doit toutefois être prise en compte : nul ne songerait à exposer des morceaux de toiles ou des membres de statues, alors que du cinéma le commissaire ne peut montrer que des fragments, qu’il s’agisse d’extraits diffusés ou de photogrammes. Mais il n’est pas du tout certain que ce recours au fragment, si conforme à l’esthétique d’une époque désenchantée, soit une faiblesse.
Les nombreuses expositions présentées par Dominique Païni rencontrent en tout cas un vif succès, partout en Europe. Désormais commissaire indépendant, il travaille en effet avec les établissements les plus renommés. Dès 1998, il était intervenu au Fresnoy, où règne son vieux complice Alain Fleischer (Les Transports de l’image). On l’a vu ensuite à l’œuvre tant dans des galeries à l’entrée desquelles on fait la queue (le Grand Palais, pour un Walt Disney inattendu en 2007) que dans des lieux plus exigeants (le BAL, pour une très belle exposition sur Lewis Baltz), tant en France qu’à l’étranger. En 2015, il montra ainsi à Ferrare, sublime et secrète cité des arts renaissants, une rétrospective Antonioni, que les Parisiens découvrirent ensuite à la Cinémathèque ; on peut en lire les cahiers de travail dans la revue 1895. Ce ne sont là que des exemples, au fil d’une œuvre étonnante d’ampleur et de diversité, qui se prolongera assurément puisque Dominique Païni a encore des bien projets en cours ! Il aura ainsi prouvé avec une talentueuse obstination son attachement à ce qui est presque pour lui un Credo : « l’avenir du cinéma, c’est le musée ».
Picasso-Godard est visible à Montmajour jusqu’au 23 septembre.