Parmi les lieux d’art contemporain de Paris, rares sont ceux qui auront aussi constamment réservé de bonnes surprises que la Maison rouge. Citons, presque au hasard, parmi les 131 manifestations organisées : L’Esprit français (2017), Sous influences (2013), Vraoum ! (2009) ou Henry Darger (2006).
Aussi l’annonce par Antoine de Galbert qu’octobre 2018 serait le dernier mois de la Maison a-t-elle ému. L’exposition d’ouverture, en 2004, avait porté sur L’intime. Il est très cohérent que la dernière illustre ce que veut être la suspension du projet : non un enterrement, mais tout au contraire un envol – un départ vers d’autres images, d’autres rêves.
Antoine de Galbert en a conçu le parcours avec Barbara Safarova, Aline Vidal et Bruno Decharme. Comme souvent boulevard de la Bastille, on trouve au fil des espaces tous les supports possibles : objets, peinture, dessin, photographie, cinéma… La promenade vers l’envol commence d’ailleurs par une merveilleuse séquence de La Dolce vita où un Christ facétieux traverse Rome par les airs, avant de croiser le chemin de Méliès, dont on ne se lasse jamais de revoir Le Voyage dans la lune, prodige de constante inventivité. Une section invite aussi à redécouvrir quelques séquences chorégraphiques et de bouleversantes images d’étoiles, à commencer par Nijinski, tant il est vrai que la danse est celui des arts qui conduit au plus près de l’apesanteur.
Une force de la Maison rouge est de ne pas créer de séparations artificielles entre art moderne et art contemporain. Au début de l’exposition sont présentées deux admirables pièces de Rodin, tandis que les oeuvres montrées au sous-sol sont très récentes. Aucune chronologie rigide, cependant, mais un dialogue plein de fantaisie entre les genres, les auteurs et les thèmes. C’est que le spectre des envols est des plus étendus. Il va de l’effort physique du gymnaste ou du plongeur saisi par le photographe au plaisir, à la transe mystique, à l’extase, aux expériences-limites des paradis artificiels. On peut même s’envoler avec les extraterrestres, comme le Cubain Chucho, comptable maniaque des mondes parallèles. Mais l’accès aux ailleurs n’est-il pas avant tout le privilège des enfants, de Little Nemo aux petits héros du génial Henry Darger ?
Cela aura été la grâce du lieu de faire du visiteur, pour L’Envol comme pour beaucoup d’autres expositions, à la fois un enfant émerveillé et un explorateur éclairé de la diversité des images d’aujourd’hui. On regrettera la Maison rouge, certes, mais on lui sera plus encore reconnaissant pour tous les beaux souvenirs qu’on y aura engrangés.
L’Envol est présenté à la Maison rouge jusqu’au 28 octobre.