Le 40 rue de Sèvres recèle dans sa chapelle une exposition temporaire d’art contemporain intitulée Reliquaires et qui ne devrait pas laisser indifférent, entre le profane et le sacré, le présent et l’avenir, la vie et la mort…
Au 40 rue de Sèvres dans le 7e arrondissement de Paris, se tient, à l’abri des regards, un joyau qui n’ouvre ses portes que pour celles et ceux qui ont la chance d’y travailler ou lors des Journées du Patrimoine. Il s’agit de l’ancien hôpital Laennec, longtemps appelé l’Hospice des Incurables depuis sa création sous Louis XIII en 1634, sous l’initiative du Cardinal de La Rochefoucauld, son aumônier. 288 donateurs avaient alors permis la construction de l’édifice (dont l’architecture rappelle celle d’un hôpital de Milan) et les premiers malades sont arrivés dès 1637 (même si la construction ne s’est réellement achevée qu’au XVIIIe siècle). Les malades hommes et femmes pouvaient y entrer (en faisant don de leurs biens), même si chaque sexe disposait de son aile propre. Devenu l’hôpital de Laennec en 1878, il subit un vaste programme de réhabilitation et de réaménagement à partir de 2000, après avoir cédé par l’Etat pour le financement de l’hôpital Georges-Pompidou. Et accueille depuis 1996, le groupe Kering et la Maison Balenciaga.
Une chapelle comme lieu d’exposition. La chapelle au centre de l’édifice fut elle-même entièrement restaurée, même si pendant longtemps, la question de ce que l’on pourrait y faire restait en suspend, l’établissement n’étant plus un hôpital tenu par un ordre religieux. La réponse ne se fit pas attendre : un lieu dédié à l’art. Et chaque année, se tient une exposition sur des thèmes à chaque fois différents, dont les œuvres sont puisées dans les collections de François-Henri Pinault. Cette année, c’est le thème « Reliquaires » qui a été choisi, avec des œuvres de six artistes, à la renommée internationale. « On travaille sur le dialogue entre le patrimoine et l’art contemporain, avec des thèmes qui sont proches de la religion ou de la spiritualité », précise la guide. Après tout, nous sommes dans un lieu de culte. Et ici, le mot « reliquaire » prend tout son sens, avec des œuvres que l’on retrouvera dans le futur musée de la Bourse et du Commerce qui ouvrira fin 2019. « Toutes évoquent avec un vocabulaire plastique de notre temps, ce que fut la splendeur des collections de reliques dans les grandes églises occidentales », ajoute François-Henri Pinault dans le catalogue de l’exposition.
Monumental. Première œuvre que l’on aperçoit en entrant dans la chapelle, Byars is elephant, une des trois sculptures de feu James Lee Byars, qui était toujours en quête de beauté, de grandeur et d’absolu. Monumentale, au niveau de l’autel, on ne remarque qu’elle. Il s’agit d’une immense tenture tout en or, installée pour la première fois en 1997, quelques jours avant la mort de l’artiste. Devant le tissu, une immense pelote de cordes qui semblent avoir traversé le temps, de celles qu’utilisaient les ouvriers pour construire les pyramides d’Egypte et qui ne demandent qu’à être déroulées. Une corde comme un fil de vie, métaphore, comme dans tout le travail de Byars, de la difficulté d’être, du rapport à soi et à l’intime. Un point final qui laisse plus d’interrogations que de réponses, au même titre que ses deux autres œuvres exposées ici, The Golden Tower (datée de 1974), également en métal doré ou The Philosophical Nail de 1986, un clou doré qui rappelle le supplice du Christ.
Avec Phantom Weiss (2012), l’Allemand Günther Uecker n’est pas en reste, avec trois tableaux jonchés de clous qui donnent à la fois une impression de mouvement, de dynamisme et d’infini, comme une nuée d’insectes noirs qui s’abattraient sur un mur blanc.
Reliques anciennes et reliquaires contemporains. Au fond de la chapelle, ce qui peut surprendre, c’est un véritable reliquaire en bois, acquis par l’Etat et datant du XIXe siècle. Conceptualisé par Alexandre Lenoir, le fondateur du Musée des Monuments Français, il renferme des traces de l’existence des amants médiévaux Héloïse et Abélard. Le coffre contient en effet leurs écrits, des témoignages de leurs vies, mais aussi de véritables reliques, comme une dent d’Héloïse. « Un intérêt majeur pour le patrimoine de notre pays », souligne François-Henri Pinault concernant ce magnifique objet, qui relate l’histoire d’amour de véritables Roméo et Juliette. Il fait face à l’une des deux œuvres de l’artiste polémiste Damien Hirst avec Infinity (2001). On y retrouve, sur des étagères-miroirs, des rangées contenant 15 000 pilules, toutes différentes, toutes en céramique et métal et toujours placées au même endroit. « L’art est ici curatif. Hirst compare l’art à la médecine », explique notre guide, rappelant à quel point notre société était consommatrice de médicaments et autres antidépresseurs. Et si ces gélules sont fausses, les insectes et arachnides empaillés dans l’œuvre Jacob’s Ladder de 2008, sont eux tout ce qu’il y a de plus réels. 3 000 de ces animaux sont ainsi rangés à leur tour, espèce par espèce, conservant l’apparence de la vie après leur mort.
Une idée de conservation que ne renierait pas l’Italien Giuseppe Penone avec Essere vento, datée de 2014. Sur un tronc d’arbre pétrifié, l’artiste y a apposé l’empreinte de sa main droite dans laquelle il a placé deux grains de sable parfaitement identiques, ce qui est impossible dans la nature, où chaque grain a sa propre forme. « Il cherche à montrer l’impact que l’homme a sur les arbres qui sont des éponges à époque. Pour réaliser cette œuvre, il a fait appel au physicien français Joël Chevrier, spécialisé en nanotechnologie qui a permis de dupliquer et sculpter un grain de sable. La nature est ainsi modifiée, l’humain est comparé aux grains de sable, nous sommes les reliquaires de nos propres ancêtres », souligne notre guide.
Continuité et changement. Seule femme parmi les artistes exposés, Camille Henrot propose avec Tevau (2009), une lance à incendie en bois, corde et métal, qui semble représenter le symbole de l’infini, de la relation entre le passé, le présent et le futur, en reprenant de surcroît la signification du tevau, une monnaie d’échange dans les îles Salomon pour conclure un mariage. Une idée de continuité perpétuelle poursuivie par celle du mouvement de l’œuvre de Huang Yong Ping, dénuée de titre, où l’on assiste à deux mues, celles d’un python et d’un boa, avec des feuilles d’or apparaissant par transparence et reliées entre elles par un squelette ensanglanté. Des images de naissance et de mort qui reflètent les obsessions de l’artiste quant à la mutation, avec le serpent pour animal totem. Un reliquaire pas comme les autres…