Exposition « Hugo à la une » à la Maison Victor Hugo

Exposition « Hugo à la une » à la Maison Victor Hugo
Honoré Daumier (1808-1879). "Le Charivari - Souvenir du Congrès de la Paix 1". Paris, Maison de Victor Hugo.
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Rarement un homme aura suscité aussi peu l’indifférence de ses contemporains. Victor Hugo l’écrivain, puis l’homme politique, n’aura eu de cesse d’être caricaturé, comme le montre cette exposition présentée à la Maison Victor Hugo jusqu’au 6 janvier 2019.

L’art de la caricature, que ce soit dans la sculpture, la peinture ou le dessin, existe depuis l’Antiquité. Tantôt à charge (avec exagération et déformation des traits physiques de la personne caricaturée), tantôt en rapport avec la société (dans ce cas, ce sont des événements ou des comportements globaux qui sont au centre de l’attention), la caricature est devenue un aspect essentiel de l’Histoire et le vivier de nombreux talents. Elle se distingue peu à peu des règles établies du portrait, pour constituer sa propre liberté de ton, servir de double à tout ce qui est officiel et verser dans l’officieux pour amuser ou dénoncer. Si certaines caricatures qui existaient sous Louis XVI ont servi de témoignages de ce que ressentait le peuple, elle triomphe peu à peu et révèle de grands talents. Parmi eux, Honoré Daumier, dont le nom est resté pour être le caricaturiste le plus célèbre du XIXe siècle. Et ce n’est pas pour rien qu’on retrouve nombre de ses représentations dans l’exposition Hugo à la une, consacrée aux caricatures qui ont poursuivi toute la carrière de Victor Hugo.

« Les représentants représentés, Assemblée Législative : Victor Hugo, in le Charivari 10 juillet 1849 ». Lithographie de Honoré Daumier (1808-1879). Paris, Maison de Victor Hugo.

 

Les jeunes années. Et c’est tout d’abord l’écrivain que l’on croque, plus que l’homme politique, dès 1830. Nous sommes sous la Restauration et une loi de 1835 interdit toute caricature politique, même si les écrits satiriques sont autorisés. Pour Victor Hugo, qui vient de faire paraître Hernani et Notre-Dame de Paris, c’est son front qui va faire l’objet de toutes les attentions des illustrateurs. « Son grand front crevait le plafond ! », précise le commissaire de l’exposition, Vincent Gille. Non pas que ce front était plus grand que la moyenne. Cela est dû à une implantation des cheveux un peu plus haute et surtout, cela témoigne du fait que Hugo était « une tête pensante ». On l’attribue volontiers d’une plume pour écrire, avec Notre-Dame en toile de fond, pour rappeler le succès de son roman. Dès lors, il sera identifié de cette manière et cela ne le quittera jamais vraiment. Une carrière qui suscite à la fois admiration et hostilité, ce qui se traduira dans ses caricatures tout au long de sa vie, l’homme littéraire et l’homme politique ne laissant pas indifférents ses contemporains. L’exposition commence donc par des œuvres de Benjamin Roubaud ou Jean-Pierre Moynet, parus dans Le Charivari, l’équivalent de notre Charlie Hebdo. Au total, ce seront plus de 180 caricatures qui essaimeront tout au long du parcours qui reprend la carrière de Victor Hugo.

Moynet. « Les bulos graves – journal la Caricature, 1843 ». Estampe. Paris, Maison de Victor Hugo.

 

Une hostilité virulente. Mais c’est quand il se lance dans l’arène politique que les caricatures se font les plus virulentes, des « témoignages de méfiance envers la sincérité de Hugo quand il se met à soutenir les Républicains à partir des années 1850 », rappelle Vincent Gille. Lui qui avait été nommé Père de France par le roi Louis-Philippe, le voici qui glisse dans l’opposition, ce qui attise une hostilité générale de tous les camps : les légitimistes parce qu’il les lâche, les Républicains, qui tentent de comprendre son point de vue. Et c’est Honoré Daumier qui va se charger dans Le Chaviravi de montrer ces atermoiements, avec un Victor Hugo au front proéminent, mais surtout renfrogné, l’air redoutable, omettant volontairement, comme tous les journaux de l’époque, son rôle joué lors des journées insurrectionnelles de juin 1848. Les deux fils Hugo créent pour contrebalancer le journal L’Evénement, mais rien n’y fait. Surtout quand il entreprend de soutenir Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la nouvelle République. « Plus Hugo changeait de bord politique et plus les journalistes et les caricaturistes accompagnaient ses changements de leurs caricatures », précise Vincent Gille. Il faudra attendre l’exil de l’écrivain pour que les idées changent, petit à petit.

« Binettes » de J. Blass – 6 mars 1881, paru dans « Le Triboulet ».

 

Un poète éternel. Son opposition au coup d’état du 2 décembre 1851 qui le contraint à quitter la France scelle sa carrière politique. On semble désormais croire en ses engagements, comme Nadar, un des seuls dessinateurs qui lui rend hommage malgré les interdictions du régime. Dans les années 1860, c’est Hugo l’écrivain que l’on va célébrer à nouveau. Les dessinateurs vont encourager chacune des sorties de ses romans, des Misérables aux Travailleurs de la mer. Déloyoti, Alfred Le Petit ou André Gil le représentent toujours avec le front haut, mais doté d’une barbe blanche (qu’il porte depuis 1862). « Il a pris de l’aura aux yeux de la presse et du public. Désormais, ses traits sont moins déformés dans les caricatures, même s’il y a un regain des crises d’hostilités à son endroit en 1872, quand il échoue aux élections », explique le commissaire de l’exposition. Mais Victor Hugo prenant de l’âge et continuant combats, romans et pièces à succès, l’homme à la barbe blanche est désormais représenté en penseur, une lyre à la main comme chez Manuel Luque de Soria. Jusqu’à sa mort, il suscitera une certaine ambiguïté, entre rejet et hagiographie. Cela valait bien une exposition…