Avec l’exposition Caravage à Rome, amis et ennemis présentée jusqu’au 28 janvier, le Musée Jacquemart André peut s’enorgueillir de montrer pour la première fois des tableaux de Caravage encore inédits en France. A ne pas manquer.
Le ton est donné dès que l’on entre dans la première salle de la nouvelle exposition consacrée au maître Caravage, au premier étage du Musée Jacquemart André. « Le Théâtre des têtes coupées », tel est le nom de cette salle où Goliath et autres Holopherne sont présentés décapités ou en train de l’être. Le regard est d’ailleurs tout de suite attiré par la toile du fond, le fameux Judith décapitant Holopherne, signée de celui dont on vient voir les œuvres, Michelangelo Merisi, dit Caravage. Une huile sur toile datée de 1600 environ, présentée habituellement à la Galerie Nationale d’Art Antique de Rome. Un tableau peint exactement comme tous ceux du grand artiste, considéré comme ayant « une main absolue », dixit Pierre Curie, le conservateur en chef du musée. C’est-à-dire sans dessin préparatoire, à même la toile. Ce qui a suscité bon nombre d’admirateurs et de jaloux chez les contemporains du Caravage. Autant d’amis et d’ennemis que l’on va retrouver tout au long de l’exposition.
Le maître Caravage. Ce chef d’œuvre présenté d’emblée montre l’importance qu’a revêtu Caravage à son époque. Il propose ici une vision toute personnelle du thème de la belle Judith décapitant le terrible Holopherne. Il la montre en train d’officier, l’homme n’étant pas encore mort et s’étonnant du geste de la jeune femme. Elle est aidée à sa besogne par une femme à son antithèse : âgée, l’air dur, quand elle ne montre que douceur et dégoût à son acte. Un thème repris dans la salle par d’autres contemporains de Caravage, comme Orazio Gentileschi ou Carlo Saraceni, pour mieux montrer le côté décalé du maître lombard sur les œuvres plus classiques, mais également dans la mouvance du clair-obscur, des autres peintres qui étaient ses rivaux. Comme Borgianni, un de ses pires ennemis, dont on montre ici un David et Goliath particulièrement sanglant, avec également un David qui décapite un Goliath encore vivant et qui semble se débattre.
Un style inimitable. Le reste des salles fonctionne sur le même principe : une ou plusieurs peintures de Caravage et quelques autres sur le même thème de contemporains, qu’ils soient de la même mouvance ou totalement opposés. Dans celle consacrée à la musique et la nature morte, tandis que l’on admire la magnifique composition de Caravage avec son Joueur de Luth (1595-1596), on peut découvrir La Douleur d’Aminte de Bartolomeo Caravozzi, chef d’œuvre du XVIIe siècle, mais qui paraît bien terne en comparaison à celui de Caravage. Encore une fois composé sans dessin préalable, on est à chaque fois saisi par son sens du détail et sa manière de placer ses sujets, enserrés dans le cadre, avec du vide autour d’eux renforçant leur solitude et mettant en avant leurs atours.
Amis bientôt ennemis. Même procédé quand Caravage peint d’après des modèles vivants, comme son Jeune Saint-Jean-Baptiste au bélier. Il n’aime rien tant que prendre des libertés avec les iconographies classiques : il ajoute un sourire au jeune saint, qui entoure non pas un agneau mais un bélier, tandis que dans son Saint-Jérôme écrivant, il donne une impression de réalisme saisissant, que ce soit dans le geste du vieillard ou sa manière de compulser la Bible pour la traduire. Un clair-obscur qui montre la maturité du travail de Caravage et dont l’influence est de plus en plus grandissante dans le monde de la peinture. Parmi ses contemporains, certains lui témoignent une hostilité croissante, jusqu’au procès pour diffamation (comme Giovanni Baglione en 1603), ou des liens rompus (le Cavalier d’Arpin). Baglione est souvent moqué et ceux qui s’entendent avec Caravage, malgré leurs styles diamétralement opposés, comme Annibal Carrache, voient leurs amitiés cesser rapidement. Un homme au caractère vif, prompt à la violence, qui feront de lui quelqu’un de craint et de fascinant tour à tour.
Les dernières œuvres. C’est dans les dernières salles que l’on retrouve le plus grand nombre d’œuvres de Caravage, certaines présentées en France (voire en Europe) pour la toute première fois. Il y a Ecce Homo, sur un thème plébiscité par Caravage, la Passion du Christ. Le peintre a répondu à un concours pour réaliser un Ecce Homo et il s’est retrouvé en compétition avec Cigoli et Passignano dont on retrouve également les œuvres. Celle de Caravage détonne, encore une fois, en montrant Jésus sous un aspect juvénile (il semble adolescent quand il doit avoir 33 ans) et Ponce Pilate est incarné par un protestant allemand. Un Ecce homo qui se rapproche de ce que va connaître Caravage à la fin de sa vie : accusé d’assassinat, il est condamné à la décapitation par contumace et doit fuir. Il livrera tout de même, le temps de son exil où il finira par mourir, des tableaux d’une grande beauté et livrés ici pour la première fois : Le Souper à Emmaüs et deux versions de Madeleine en extase datées de 1606. Des œuvres éblouissantes et fascinantes, comme la vie de Caravage en elle-même…