Le monde des maisons de vente aux enchères est en plein émoi. De nombreuses réformes ont vu le jour ces deux dernières décennies et d’autres sont attendues pour les mois et années à venir. De quoi inquiéter un secteur longtemps laissé sans contrôle spécifique.
Pendant longtemps mise de côté par les différents gouvernements successifs, la profession de commissaires-priseurs risque de prendre une nouvelle direction sous la présidence Macron. En effet, une loi relative à l’Etat de service d’une société de confiance a été adoptée par le Parlement le 10 août dernier, tandis qu’en 2022, la loi Macron proposant une fusion entre commissaires-priseurs et huissiers de justice risque d’entrer en application.
Ce sont donc toute une série de réformes qui sont en cours, d’autant que l’actuelle ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a missionné en juillet 2018 à Henriette Chambon (ex-présidente de jury d’examen d’accès au métier de commissaire-priseur et conseillère à la Cour de Cassation) et à Edouard de Lamaze (commissaire du gouvernement lors de la présentation du projet de loi réformant les ventes volontaires en 2000) sur les solutions à prendre pour redonner à la France une attractivité internationale dans le monde des enchères (elle est passée de la première place mondiale dans les années 1960 à la quatrième actuellement) et de rentrer pleinement dans une ère numérique, unique biais pour les petites maisons de ventes régionales de s’en sortir financièrement. Une révolution qui divise le monde cloisonné des enchères d’art.
Un secteur en pleine réforme. Jusqu’à présent, le marché de l’art était resté dans un « archaïsme administratif », pour reprendre l’expression du député Michel Herbillon qui a rendu public fin 2016 un rapport sur le marché de l’art français. Un rapport qui accuse le CVV (le Conseil des Ventes Volontaires) d’agir « davantage comme un organe de censure qu’un organe de promotion de la profession ». Depuis 1945, les commissaires-priseurs bénéficiaient d’un monopole à toute épreuve et d’un statut d’officier ministériel pour toutes les ventes volontaires (dont les lots sont délibérément confiés aux commissaires-priseurs). Mais suite à de nombreuses dérives, ils ont été placés sous la tutelle du CVV en 2001. Une instance dirigée par des magistrats, qui peut contrôler et sanctionner des commissaires-priseurs à tout moment. Même si de telles réprimandes sont encore rares. En 2017, le CVV a ainsi reçu plus de 300 réclamations émanant de consommateurs, mais seulement 70 médiations et 3 sanctions ont été effectuées.
Autre réforme d’ampleur après celle de 2000 (distinguant désormais ventes volontaires et ventes judiciaires), celle de 2011, qui a mis fin au régime d’autorisation préalable et permit aux opérateurs aux ventes de gré à gré (soit sans intermédiaires) d’assurer des avances aux vendeurs. Mais cela ne suffit pas pour la Garde des Sceaux, tant elle estime que les collectionneurs ont besoin d’être rassurés, suite à la succession de certains scandales qui ont émaillé le monde de l’art ces dernières années comme la multiplication de faux ou le trafic illicite de biens culturels dans certains pays pillés.
Entre antagonismes et concurrence. Une volonté de réformes qui renforce un peu plus les différences entre le CVV et le Symev, le Syndicat National des Maisons de Ventes Volontaires. Catherine Chadelat, présidente du CVV, approuve la mission lancée par Nicole Belloubet. « Elle apportera un éclairage utile à l’aune des évolutions rapides du marché, tant sur le plan économique que technique avec le numérique » a-t-elle précisé. Jean-Pierre Osenat, président du Symev, qui considère le CVV comme un gendarme du secteur, il souhaite quant à lui une libéralisation des enchères, selon le modèle anglo-saxon, basé sur l’autorégulation et combinée aux juridictions de droit commun. « Le Symev vit dans la nostalgie d’un statut passé. Un marché libéralisé appelle de toute façon une régulation pour s’assurer que les règles sont respectées, exercées de manière indépendante pour éviter tout conflit d’intérêts », répond Catherine Chadelat. En attendant le rapport des magistrats missionnés par l’Etat, l’heure est encore au statu quo, tant le marché de l’art a souvent été oublié par les différents gouvernements précédents, sans oublier une instabilité fiscale à la TVA à l’importation qui pénalise Paris par rapport aux autres maisons internationales, comme Christie’s et Sotherby’s.
La concurrence de ces dernières avec Artcurial, seule maison d’envergure française, est de plus en plus rude et les commissaires-priseurs ont mis longtemps avant de l’appréhender. En dehors de l’Ile-de-France, seule une centaine de maisons de vente aux enchères subsistent encore. Ce qui les aide à tenir, leur capacité à se spécialiser dans certaines niches (comme le vin, le sport, l’argenterie ou un art spécifique à une époque de l’Histoire) et les enchères en ligne qui leur permettent de toucher une plus large clientèle. Les réformes à venir iront-elles dans leur sens ou seront-elles encore davantage fragilisées ?